Thierry RANDRETSA
La mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (United Nations Assistance Mission in
Afghanistan ou UNAMA) a recensé
8615 dommages civils (2959 morts et 5656 blessés) en 2013, soit une hausse de
14% des dommages civils par rapport à 2012 (hausse de 7% des morts et de 17%
des blessés)[1]. 2013 renverse ainsi la tendance à la baisse
enregistrée en 2012, et continue sur la lancée
de 2011 (qui comptabilisait 3133 morts et 4706 blessés). Depuis 2009, le
conflit afghan a pris la vie de 14 064 civils.
Comme les années précédentes, l’essentiel (74%) de ces
dommages est le fait des éléments anti-gouvernementaux ou EAG[2].
Ceux-ci comprennent « tous les individus et les groupes armés actuellement
engagés dans le conflit (…) ou en opposition armée avec le Gouvernement
d’Afghanistan et/ou les forces armées internationales. Cela comprend ceux qui
s’identifient comme “Taliban” aussi bien que les individus et les groupes
armées organisés non-étatiques prenant part directement aux hostilités et
supposant une variété d’étiquettes dont les réseaux Haqqani, le Hezb-e-Islami,
le Mouvement Islamique d’Uzbekistan,
l’Union du Jihad Islamique, le Lashkari Tayyiba et Jaysh Muhammed. Cette classification des éléments anti-gouvernementaux
ne s’applique pas aux groupes criminels, sauf si le groupe s’engage directement
dans des actes hostiles dans le conflit armé au nom d’une Partie au
conflit »[3].
En comparaison, 11 % des dommages civils sont le fait
des éléments pro-gouvernementaux ou EPG (8% des forces de sécurité nationales
afghanes et 3% des forces militaires internationales), tandis que 10% découlent
d’engagements terrestres entre les deux Parties. Les 5% restants ne sont pas
attribués, résultant principalement des restes
explosifs de guerre (soit « les munitions non explosées, telles
qu’obus d’artillerie ou de mortier, grenades, bombes et roquettes, abandonnées
après un conflit armé »)[4].
La contribution majeure
des engins explosifs improvisés
En tout, les EAG ont commis 2311 morts et 4063 blessés parmi
la population civile, soit une hausse de 4% par rapport à 2012[5].
Ces dommages ont été en grande partie causés par l’emploi d’engins explosifs
improvisés (improvised explosive devices
ou IED). Ceux-ci sont des charges explosives fabriquées de manière improvisée
et employées en-dehors de l’action militaire conventionnelle. Ces engins
peuvent prendre différentes formes
puisqu’ils peuvent avoir comme « vecteur » un être humain ou un
véhicule. Ils peuvent également être activés à distance.
Depuis au moins deux
ans, les IED sont la principale source de dommages civils (34% en 2013). Il
convient de préciser que les EAG sont la seule Partie au conflit à employer des
IED. Ceux-ci ont tué 962 civils et blessé 1928 autres, soit une augmentation de
14% par rapport à 2012. Depuis 2009, les IED ont tué 4515 civils et blessé 7989
autres[6].
Ces engins sont d’autant plus mortels pour la population
qu’ils sont habituellement employés dans des zones peuplées. Dans un certain
nombre de cas, ces engins ont été employés de façon indiscriminée et
disproportionnée. À cet égard, on peut noter, une augmentation inquiétante des
dommages civils causés par IED contrôlés à distance par radio[7].
En effet, ces engins permettent aux
opérateurs de faire exploser le dispositif préalablement placé au moment précis
où l’objectif se déplace vers la zone cible. Par conséquent, des précautions
peuvent être prises pour opérer une attaque précise. Or, les dommages civils
liés à cet engin ont augmenté de 84% en 2013. L’UNAMA a recensé 356 attaques
avec ce type d’engins ayant causé 257 morts et 892 blessés. Ces IED représentent
24% des dommages civils commis par l’ensemble des IED et 13% du total des dommages
civils[8].
Cette hausse des victimes civiles des IED « contrôlés »
s’est accompagnée d’une baisse de celles des IED « non contrôlés » ou
activés par la victime par un mécanisme de pression sur un plateau[9].
Ces derniers ont tué 245 personnes et blessé 312 autres, soit une baisse de 39%
par rapport à 2012. Toutefois, note le rapport, le coût humain de ces IED reste
élevé, d’autant plus qu’ils tuent de façon indiscriminée les civils dans les
lieux publics, notamment sur les routes. Ils contiennent en général 20 à 25
kilos d’explosifs, plus de deux fois le contenu d’une mine anti-char. Ces IED
fonctionnent donc comme des mines massivement anti-personnel, mais avec la
capacité de détruire un tank. Parallèlement, un nombre significatif d’IED
contenant 2 à 4 kilos d’explosifs a visé spécifiquement des individus à pied[10].
La stratégie « anti-civils »
des EAG
Outre cet emploi indiscriminé et disproportionné des IED,
l’UNAMA comptabilise 72 attaques par des IED activés à distance visant
délibérément des civils : fonctionnaires du Gouvernement, travailleurs
médicaux, chefs de tribus, contractuels et ouvriers de chantiers, écoles et
enseignants, ainsi que travailleurs électoraux[11].
Ces attaques révèlent la stratégie « anti-civils » des EAG, résolus à
viser intentionnellement tous ceux qui sont soupçonnés de soutenir le Gouvernement
et de travailler aux côtés des EPG. Cette stratégie se manifeste également par
l’exécution d’attaques-suicides (255 morts et 981 blessés civils sur 73
incidents en 2013, soit 15% de l’ensemble des dommages civils) et d’assassinats
ciblés (743 morts et 333 blessés, soit la troisième cause de dommages civils en
2013)[12].
Loin de rejeter en bloc ces victimes civiles, les éléments
anti-gouvernementaux revendiquent un grand nombre de ces attaques. En 2013, les
Talibans ont revendiqué 153 attaques touchant des civils, soit une augmentation
de 292% par rapport à 2012. Ces 153 attaques ont causé 302 morts et 642 blessés
parmi la population civile[13].
Dommages civils et EPG
Les EPG ont causé 11% des dommages civils, soit 341 morts et
615 blessés, ce qui représente une augmentation de 59% comparé à 2012. 57% de
ces dommages sont attribués aux Forces de Sécurité Nationale Afghanes (FSNA), soit
99 morts et 276 blessés, 27% aux forces de sécurité internationale et 16% aux
opérations conjointes.
Engagements
terrestres et « dynamiques changeantes du conflit »
Cette augmentation est en grande partie le résultat des
opérations terrestres menées par les FSNA. C’est un changement
par rapport aux années précédentes au cours desquelles les opérations aériennes
étaient la première cause de dommages civils.
De manière générale, les engagements terrestres se sont avérés
particulièrement meurtriers pour les populations civiles causant 534 morts et
1793 blessés, soit une augmentation de 43% par rapport à 2012. Il s’agit de la
deuxième source de dommages civils en 2013 (27%). 44% de ces derniers (266
morts et 764 blessés) sont le fait des EAG, 16% des EPG (99 morts et 276
blessés) et 38% sont non attribués (159 morts et 718 blessés). 2% sont dus à
des bombardements à la frontière dans les provinces de Kunar et Nangarhar[14].
Ces engagements terrestres comptent pour 39% de l’ensemble
des dommages civils produits par les EPG[15].
En 2013, l’UNAMA a recensé 349 dommages civils (88 morts et 261 blessés) causés
par les opérations terrestres conduites par les FSNA[16].
Cette tendance reflète les « dynamiques changeantes du conflit »,
selon l’UNAMA. La fermeture des bases militaires internationales et la
réduction des opérations aériennes et terrestres, particulièrement les
opérations terrestres de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité en
partenariat avec les FSNA, ont donné aux EAG une meilleure mobilité et capacité
dans certaines zones à attaquer les forces afghanes qui ont été plus actives et
plus exposées.
Les résultats
paradoxaux des opérations aériennes en termes de dommages civils
Enfin, les opérations aériennes représentent 19% des
dommages civils attribués aux EPG (118 morts, 64 blessés). Il est intéressant
de noter que les drones sont les premiers responsables de ces dommages (32%),
devant les avions à voilure fixe (20%) et les hélicoptères (18%). Les UAV (unmanned aerial vehicles) ont tué 45
personnes et blessé 14 autres au cours de 19 incidents, trois fois plus qu’en
2012[17].
Selon l’UNAMA, ces dommages civils seraient révélateurs d’un manque de
précautions dans la préparation et l’exécution des opérations aériennes
offensives alors que cet instrument devrait, de par ses attributs (notamment la
possibilité de surveiller la cible sur une longue période permettant une
meilleure identification positive), au contraire, conduire à des frappes
discriminées et proportionnées. L’UNAMA recommande un examen plus approfondi
des considérations de pré-engagement et des mesures de précaution, surtout en
l’absence de menace immédiate et en raison du temps disponible pour évaluer les
tactiques alternatives, et ce, afin de confirmer l’identification positive et
la connaissance de la situation, comme cela est d’ailleurs exigé par l’US Military Doctrine[18].
[1] United Nations Assistance Mission in Afghnistan, Afghanistan. Annual report 2013, Protection
of civilians in armed conflict, Kabul, February 2014, p. 1, http://unama.unmissions.org/Portals/UNAMA/human%20rights/Feb_8_2014_PoC-report_2013-Full-report-ENG.pdf.
[2] Ibid., p. 1.
[3] Ibid., pp. xi-xii.
[4] Ibid., pp. 1-2.
[5] Ibid., p. 3.
[6] Idem.
[7] Ibid., p. 18.
[8] Ibid., pp. 18-19.
[9] Ibid., p. 21.
[10] Idem.
[11] Ibid., p. 20.
[12] Ibid., p. 22 et p. 24.
[13] Ibid., p. 35.
[14] Ibid., p. 38.
[15] Ibid., p. 45.
[16] Ibid., p. 8.
[17] Ibid., p. 46.
[18] Ibid., p. 48.
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