14 février 2014

ANALYSE : Hausse des dommages civils en Afghanistan en 2013

Thierry RANDRETSA

La mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (United Nations Assistance Mission in Afghanistan ou UNAMA) a recensé 8615 dommages civils (2959 morts et 5656 blessés) en 2013, soit une hausse de 14% des dommages civils par rapport à 2012 (hausse de 7% des morts et de 17% des blessés)[1].  2013 renverse ainsi la tendance à la baisse enregistrée en 2012, et continue sur la lancée de 2011 (qui comptabilisait 3133 morts et 4706 blessés). Depuis 2009, le conflit afghan a pris la vie de 14 064 civils.

Des dommages civils en majorité causés par les éléments anti-gouvernementaux

Comme les années précédentes, l’essentiel (74%) de ces dommages est le fait des éléments anti-gouvernementaux ou EAG[2]. Ceux-ci comprennent « tous les individus et les groupes armés actuellement engagés dans le conflit (…) ou en opposition armée avec le Gouvernement d’Afghanistan et/ou les forces armées internationales. Cela comprend ceux qui s’identifient comme “Taliban” aussi bien que les individus et les groupes armées organisés non-étatiques prenant part directement aux hostilités et supposant une variété d’étiquettes dont les réseaux Haqqani, le Hezb-e-Islami, le Mouvement Islamique d’Uzbekistan, l’Union du Jihad Islamique, le Lashkari Tayyiba et Jaysh Muhammed. Cette classification des éléments anti-gouvernementaux ne s’applique pas aux groupes criminels, sauf si le groupe s’engage directement dans des actes hostiles dans le conflit armé au nom d’une Partie au conflit »[3].

En comparaison, 11 % des dommages civils sont le fait des éléments pro-gouvernementaux ou EPG (8% des forces de sécurité nationales afghanes et 3% des forces militaires internationales), tandis que 10% découlent d’engagements terrestres entre les deux Parties. Les 5% restants ne sont pas attribués, résultant principalement des restes explosifs de guerre (soit « les munitions non explosées, telles qu’obus d’artillerie ou de mortier, grenades, bombes et roquettes, abandonnées après un conflit armé »)[4].


La contribution majeure des engins explosifs improvisés

En tout, les EAG ont commis 2311 morts et 4063 blessés parmi la population civile, soit une hausse de 4% par rapport à 2012[5]. Ces dommages ont été en grande partie causés par l’emploi d’engins explosifs improvisés (improvised explosive devices ou IED). Ceux-ci sont des charges explosives fabriquées de manière improvisée et employées en-dehors de l’action militaire conventionnelle. Ces engins peuvent prendre différentes formes puisqu’ils peuvent avoir comme « vecteur » un être humain ou un véhicule. Ils peuvent également être activés à distance.

Depuis au moins deux ans, les IED sont la principale source de dommages civils (34% en 2013). Il convient de préciser que les EAG sont la seule Partie au conflit à employer des IED. Ceux-ci ont tué 962 civils et blessé 1928 autres, soit une augmentation de 14% par rapport à 2012. Depuis 2009, les IED ont tué 4515 civils et blessé 7989 autres[6].

Ces engins sont d’autant plus mortels pour la population qu’ils sont habituellement employés dans des zones peuplées. Dans un certain nombre de cas, ces engins ont été employés de façon indiscriminée et disproportionnée. À cet égard, on peut noter, une augmentation inquiétante des dommages civils causés par IED contrôlés à distance par radio[7]. En effet,  ces engins permettent aux opérateurs de faire exploser le dispositif préalablement placé au moment précis où l’objectif se déplace vers la zone cible. Par conséquent, des précautions peuvent être prises pour opérer une attaque précise. Or, les dommages civils liés à cet engin ont augmenté de 84% en 2013. L’UNAMA a recensé 356 attaques avec ce type d’engins ayant causé 257 morts et 892 blessés. Ces IED représentent 24% des dommages civils commis par l’ensemble des IED et 13% du total des dommages civils[8].

Cette hausse des victimes civiles des IED « contrôlés » s’est accompagnée d’une baisse de celles des IED « non contrôlés » ou activés par la victime par un mécanisme de pression sur un plateau[9]. Ces derniers ont tué 245 personnes et blessé 312 autres, soit une baisse de 39% par rapport à 2012. Toutefois, note le rapport, le coût humain de ces IED reste élevé, d’autant plus qu’ils tuent de façon indiscriminée les civils dans les lieux publics, notamment sur les routes. Ils contiennent en général 20 à 25 kilos d’explosifs, plus de deux fois le contenu d’une mine anti-char. Ces IED fonctionnent donc comme des mines massivement anti-personnel, mais avec la capacité de détruire un tank. Parallèlement, un nombre significatif d’IED contenant 2 à 4 kilos d’explosifs a visé spécifiquement des individus à pied[10].

La stratégie « anti-civils » des EAG

Outre cet emploi indiscriminé et disproportionné des IED, l’UNAMA comptabilise 72 attaques par des IED activés à distance visant délibérément des civils : fonctionnaires du Gouvernement, travailleurs médicaux, chefs de tribus, contractuels et ouvriers de chantiers, écoles et enseignants, ainsi que travailleurs électoraux[11]. Ces attaques révèlent la stratégie « anti-civils » des EAG, résolus à viser intentionnellement tous ceux qui sont soupçonnés de soutenir le Gouvernement et de travailler aux côtés des EPG. Cette stratégie se manifeste également par l’exécution d’attaques-suicides (255 morts et 981 blessés civils sur 73 incidents en 2013, soit 15% de l’ensemble des dommages civils) et d’assassinats ciblés (743 morts et 333 blessés, soit la troisième cause de dommages civils en 2013)[12].

Loin de rejeter en bloc ces victimes civiles, les éléments anti-gouvernementaux revendiquent un grand nombre de ces attaques. En 2013, les Talibans ont revendiqué 153 attaques touchant des civils, soit une augmentation de 292% par rapport à 2012. Ces 153 attaques ont causé 302 morts et 642 blessés parmi la population civile[13].

Dommages civils et EPG

Les EPG ont causé 11% des dommages civils, soit 341 morts et 615 blessés, ce qui représente une augmentation de 59% comparé à 2012. 57% de ces dommages sont attribués aux Forces de Sécurité Nationale Afghanes (FSNA), soit 99 morts et 276 blessés, 27% aux forces de sécurité internationale et 16% aux opérations conjointes.

Engagements terrestres et « dynamiques changeantes du conflit »

Cette augmentation est en grande partie le résultat des opérations terrestres menées par les FSNA. C’est un changement par rapport aux années précédentes au cours desquelles les opérations aériennes étaient la première cause de dommages civils.  De manière générale, les engagements terrestres se sont avérés particulièrement meurtriers pour les populations civiles causant 534 morts et 1793 blessés, soit une augmentation de 43% par rapport à 2012. Il s’agit de la deuxième source de dommages civils en 2013 (27%). 44% de ces derniers (266 morts et 764 blessés) sont le fait des EAG, 16% des EPG (99 morts et 276 blessés) et 38% sont non attribués (159 morts et 718 blessés). 2% sont dus à des bombardements à la frontière dans les provinces de Kunar et Nangarhar[14].

Ces engagements terrestres comptent pour 39% de l’ensemble des dommages civils produits par les EPG[15]. En 2013, l’UNAMA a recensé 349 dommages civils (88 morts et 261 blessés) causés par les opérations terrestres conduites par les FSNA[16]. Cette tendance reflète les « dynamiques changeantes du conflit », selon l’UNAMA. La fermeture des bases militaires internationales et la réduction des opérations aériennes et terrestres, particulièrement les opérations terrestres de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité en partenariat avec les FSNA, ont donné aux EAG une meilleure mobilité et capacité dans certaines zones à attaquer les forces afghanes qui ont été plus actives et plus exposées.

Les résultats paradoxaux des opérations aériennes en termes de dommages civils

Enfin, les opérations aériennes représentent 19% des dommages civils attribués aux EPG (118 morts, 64 blessés). Il est intéressant de noter que les drones sont les premiers responsables de ces dommages (32%), devant les avions à voilure fixe (20%) et les hélicoptères (18%). Les UAV (unmanned aerial vehicles) ont tué 45 personnes et blessé 14 autres au cours de 19 incidents, trois fois plus qu’en 2012[17]. Selon l’UNAMA, ces dommages civils seraient révélateurs d’un manque de précautions dans la préparation et l’exécution des opérations aériennes offensives alors que cet instrument devrait, de par ses attributs (notamment la possibilité de surveiller la cible sur une longue période permettant une meilleure identification positive), au contraire, conduire à des frappes discriminées et proportionnées. L’UNAMA recommande un examen plus approfondi des considérations de pré-engagement et des mesures de précaution, surtout en l’absence de menace immédiate et en raison du temps disponible pour évaluer les tactiques alternatives, et ce, afin de confirmer l’identification positive et la connaissance de la situation, comme cela est d’ailleurs exigé par l’US Military Doctrine[18].







[1] United Nations Assistance Mission in Afghnistan, Afghanistan. Annual report 2013, Protection of civilians in armed conflict, Kabul, February 2014, p. 1, http://unama.unmissions.org/Portals/UNAMA/human%20rights/Feb_8_2014_PoC-report_2013-Full-report-ENG.pdf.
[2] Ibid., p. 1.
[3] Ibid., pp. xi-xii.
[4] Ibid., pp. 1-2.
[5] Ibid., p. 3.
[6] Idem.
[7] Ibid., p. 18.
[8] Ibid., pp. 18-19.
[9] Ibid., p. 21.
[10] Idem.
[11] Ibid., p. 20.
[12] Ibid., p. 22 et p. 24.
[13] Ibid., p. 35.
[14] Ibid., p. 38.
[15] Ibid., p. 45.
[16] Ibid., p. 8.
[17] Ibid., p. 46.
[18] Ibid., p. 48.

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