Thierry RANDRETSA
Dans un rapport publié le 19 février 2014, et intitulé A Wedding that Became a Funeral,
l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch (HRW) revient sur
l’attaque américaine de drone qui a visé le cortège d’un mariage, le 12
décembre 2013, près de Rad’a au Yémen. Quatre missiles Hellfire ont frappé un convoi de onze véhicules, tuant douze
personnes et blessant seize autres, dont six sérieusement.
En l’absence de véritable transparence de la part de
l’administration américaine dans sa politique d’assassinats ciblés, le rapport
pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Son principal apport réside
dans les témoignages recueillis auprès des proches des victimes et des témoins
de la frappe (p. 4). Selon ces derniers, les victimes de l’attaque sont toutes
civiles. Cela a également été reconnu, de façon officieuse, par les autorités
locales qui ont octroyé aux familles des défunts et des blessés une
compensation financière et matérielle.
De leur côté, les États-Unis ont refusé, comme à leur
habitude, de reconnaître leur implication dans l’attaque. Ils se sont contentés
d’affirmer que les morts étaient bien des militants et que la cible visée était
un membre recherché d’Al-Qaïda Péninsule Arabique
(AQAP). Cette personne est Shauqi Ali Ahmad al-Badani, connu pour son rôle
dans le complot qui a conduit à la fermeture de vingt-deux représentations
diplomatiques américaines en août 2013 (p. 14). Il aurait été blessé durant
l’attaque et se serait échappé. Sa présence n’est pas attestée par les témoins
des frappes. L’attaque (selon un article du Washington
Post) aurait été opérée par les Forces
Spéciales (donc l’armée) et non par la CIA (p. 9).
Deux officiels gouvernementaux yéménites interrogés par HRW
ont confirmé la présence d’al-Badani, mais également celle de Nasr al-Hotami,
un autre membre d’AQAP très recherché. Là encore, les témoins et les proches ne
sont pas d’accord avec cette version des faits. Toutefois, le rapport mentionne
l’enquête d’une journaliste du Times
citant des témoins qui affirment le contraire (p. 18). Elle ajoute qu’al-Hotami
n’aurait pas de liens avec des activités anti-américaines.
Sur la collaboration
entre les États-Unis et le Yémen dans la lutte contre le terrorisme
Le rapport est aussi l’occasion de préciser la relation
entre les États-Unis et le Yémen dans la lutte contre le terrorisme. Le
Président yéménite Abdou Rabu Mansour Hadi répétait jusque-là que son Gouvernement
approuvait chaque frappe américaine (p. 6). Or, lors d’un entretien avec HRW le
28 janvier 2014, il n’a pas confirmé cette procédure pour la frappe du 12
décembre. Il a évoqué une permission générale donnée à ces opérations en raison
d’un accord signé par son prédécesseur avec les États-Unis au lendemain du 11
septembre 2001. Selon un membre du Gouvernement yéménite, il s’agirait d’un
accord tacite. Un autre parle plus vaguement d’une coordination entre les Gouvernements
des deux pays. Par ailleurs, dans son entretien avec l’ONG, le Président Hadi
évoque l’existence d’une « salle d’opération conjointe » réunissant
les États-Unis, la Grande Bretagne, le Yémen et l’OTAN, dans laquelle on
procéderait à l’identification des personnes à cibler. Là encore, le Président yéménite
est corrigé par un officiel du Gouvernement qui préfère parler d’« activités
de partage de renseignements ». Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont
refusé de commenter cette information. L’OTAN a nié son implication dans des opérations contre-terroristes au
Yémen (p. 7).
Sur les violations
potentielles du droit international
En l’absence d’informations sur l’implication dans des
activités militantes des personnes tuées et blessées dans l’attaque du 12
décembre de la part des États-Unis et du Yémen, l’opération est susceptible
d’avoir violée les principes de distinction et de précaution. S’il s’avère que
des membres d’AQAP étaient effectivement présents, des questions peuvent se
poser s’agissant de la proportionnalité de l’attaque. Dans cette même
hypothèse, si ces membres ont sciemment utilisé le cortège à des fins de
bouclier humain, ils ont violé une interdiction absolue du droit international
humanitaire. Bien sûr, ces dispositions sont valides seulement en présence d’un
conflit armé. Or, selon HRW, il n’est « pas clair » que les
hostilités entre les États-Unis et AQAP aient atteint le seuil d’un conflit
armé (p. 22).
En l’absence de ce dernier, le droit international des
droits de l’Homme s’applique. L’atteinte au droit à la vie ne peut être
justifiée qu’en cas de menace imminente à la vie, ce qui n’a pas été prouvé en
l’espèce.
Enfin, l’administration du Président américain Barack Obama
a fixé, en mai 2013, des standards précis encadrant l’usage de la force
en-dehors des zones d’hostilités actives :
- - La quasi-certitude qu’aucun civil ne sera blessé
ou tué dans l’attaque ;
- - La quasi-certitude que la cible sera présente ;
- - Privilégier la capture quand cela est faisable ;
- - La cible doit poser une menace « imminente
et continue ».
Pour l’instant, aucun élément d’information ne permet de
vérifier si ces standards ont été respectés.
En guise de recommandation, HRW demande notamment aux
États-Unis de conduire une enquête approfondie, impartiale et transparente afin
d’examiner la légalité de l’opération au regard du droit international et des
standards qu’ils se sont fixés.
A Wedding that Became a Funeral, New York, Human Rights Watch, 2013 (28 pp.)
TABLE OF CONTENTS
TABLE OF CONTENTS
Map
Summary
Recommendations
Methodology
I. US
Targeted Killings in Yemen
II. The
Attack
III. The
Alleged Target
IV.
International Law and US Policy
Acknowledgments
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