27 février 2014

RAPPORT : HRW publie un rapport sur l’attaque de drone du 12 décembre 2013 ayant frappé le cortège d’un mariage au Yémen

Thierry RANDRETSA

Dans un rapport publié le 19 février 2014, et intitulé  A Wedding that Became a Funeral, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch (HRW) revient sur l’attaque américaine de drone qui a visé le cortège d’un mariage, le 12 décembre 2013, près de Rad’a au Yémen. Quatre missiles Hellfire ont frappé un convoi de onze véhicules, tuant douze personnes et blessant seize autres, dont six sérieusement.

Sur l’attaque du 12 décembre 2013

En l’absence de véritable transparence de la part de l’administration américaine dans sa politique d’assassinats ciblés, le rapport pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Son principal apport réside dans les témoignages recueillis auprès des proches des victimes et des témoins de la frappe (p. 4). Selon ces derniers, les victimes de l’attaque sont toutes civiles. Cela a également été reconnu, de façon officieuse, par les autorités locales qui ont octroyé aux familles des défunts et des blessés une compensation financière et matérielle.

De leur côté, les États-Unis ont refusé, comme à leur habitude, de reconnaître leur implication dans l’attaque. Ils se sont contentés d’affirmer que les morts étaient bien des militants et que la cible visée était un membre recherché d’Al-Qaïda Péninsule Arabique (AQAP). Cette personne est Shauqi Ali Ahmad al-Badani, connu pour son rôle dans le complot qui a conduit à la fermeture de vingt-deux représentations diplomatiques américaines en août 2013 (p. 14). Il aurait été blessé durant l’attaque et se serait échappé. Sa présence n’est pas attestée par les témoins des frappes. L’attaque (selon un article du Washington Post) aurait été opérée par les Forces Spéciales (donc l’armée) et non par la CIA (p. 9).

Deux officiels gouvernementaux yéménites interrogés par HRW ont confirmé la présence d’al-Badani, mais également celle de Nasr al-Hotami, un autre membre d’AQAP très recherché. Là encore, les témoins et les proches ne sont pas d’accord avec cette version des faits. Toutefois, le rapport mentionne l’enquête d’une journaliste du Times citant des témoins qui affirment le contraire (p. 18). Elle ajoute qu’al-Hotami n’aurait pas de liens avec des activités anti-américaines.

Sur la collaboration entre les États-Unis et le Yémen dans la lutte contre le terrorisme

Le rapport est aussi l’occasion de préciser la relation entre les États-Unis et le Yémen dans la lutte contre le terrorisme. Le Président yéménite Abdou Rabu Mansour Hadi répétait jusque-là que son Gouvernement approuvait chaque frappe américaine (p. 6). Or, lors d’un entretien avec HRW le 28 janvier 2014, il n’a pas confirmé cette procédure pour la frappe du 12 décembre. Il a évoqué une permission générale donnée à ces opérations en raison d’un accord signé par son prédécesseur avec les États-Unis au lendemain du 11 septembre 2001. Selon un membre du Gouvernement yéménite, il s’agirait d’un accord tacite. Un autre parle plus vaguement d’une coordination entre les Gouvernements des deux pays. Par ailleurs, dans son entretien avec l’ONG, le Président Hadi évoque l’existence d’une « salle d’opération conjointe » réunissant les États-Unis, la Grande Bretagne, le Yémen et l’OTAN, dans laquelle on procéderait à l’identification des personnes à cibler. Là encore, le Président yéménite est corrigé par un officiel du Gouvernement qui préfère parler d’« activités de partage de renseignements ». Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont refusé de commenter cette information. L’OTAN a nié son implication  dans des opérations contre-terroristes au Yémen (p. 7).

Sur les violations potentielles du droit international

En l’absence d’informations sur l’implication dans des activités militantes des personnes tuées et blessées dans l’attaque du 12 décembre de la part des États-Unis et du Yémen, l’opération est susceptible d’avoir violée les principes de distinction et de précaution. S’il s’avère que des membres d’AQAP étaient effectivement présents, des questions peuvent se poser s’agissant de la proportionnalité de l’attaque. Dans cette même hypothèse, si ces membres ont sciemment utilisé le cortège à des fins de bouclier humain, ils ont violé une interdiction absolue du droit international humanitaire. Bien sûr, ces dispositions sont valides seulement en présence d’un conflit armé. Or, selon HRW, il n’est « pas clair » que les hostilités entre les États-Unis et AQAP aient atteint le seuil d’un conflit armé (p. 22). 

En l’absence de ce dernier, le droit international des droits de l’Homme s’applique. L’atteinte au droit à la vie ne peut être justifiée qu’en cas de menace imminente à la vie, ce qui n’a pas été prouvé en l’espèce.

Enfin, l’administration du Président américain Barack Obama a fixé, en mai 2013, des standards précis encadrant l’usage de la force en-dehors des zones d’hostilités actives :
-          - La quasi-certitude qu’aucun civil ne sera blessé ou tué dans l’attaque ;
-          - La quasi-certitude que la cible sera présente ;
-          - Privilégier la capture quand cela est faisable ;
-          - La cible doit poser une menace « imminente et continue ».

Pour l’instant, aucun élément d’information ne permet de vérifier si ces standards ont été respectés.
En guise de recommandation, HRW demande notamment aux États-Unis de conduire une enquête approfondie, impartiale et transparente afin d’examiner la légalité de l’opération au regard du droit international et des standards qu’ils se sont fixés.


 


A Wedding that Became a Funeral, New York, Human Rights Watch, 2013 (28 pp.)

TABLE OF CONTENTS

Map
Summary
Recommendations
Methodology
I. US Targeted Killings in Yemen
II. The Attack
III. The Alleged Target
IV. International Law and US Policy
Acknowledgments


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