6 décembre 2014

ACTU : La Cour pénale internationale abandonne les poursuites contre le Président du Kenya Uhuru Kenyatta

Catherine MAIA

La Procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a décidé le 5 décembre d'abandonner les poursuites contre l’actuel Président du Kenya, Uhuru Kenyatta, deux jours après que les juges ont refusé de repousser le procès comme elle le demandait.

« L'Accusation retire les charges contre M. Kenyatta », a indiqué Mme Bensouda dans un document officiel. « Les éléments de preuve ne se sont pas améliorés à un degré tel que la responsabilité pénale présumée de M. Kenyatta puisse être prouvée au-delà de tout doute raisonnable ». Ce retrait des charges n'exclut pas « la possibilité de retenir de nouvelles charges contre M. Kenyatta », a précisé la Procureure.

Le 3 décembre, une Chambre de première instance de la CPI avait rejeté la demande de l'Accusation réclamant un nouvel ajournement de l'affaire. La Chambre avait ordonné à l'Accusation de déposer, dans une semaine au plus tard, un avis indiquant soit le retrait des charges dans cette affaire, soit que le niveau d'éléments de preuve s'était amélioré à un degré qui justifierait la tenue d'un procès.

Élu à la présidence du Kenya en mars 2013, Uhuru Kenyatta était accusé d’avoir co-orchestré les violences à caractère ethnique qui ont fait 1 200 morts après l’élection présidentielle de décembre 2007, remportée par Mwai Kibaki. En particulier, il était accusé, en tant que coauteur indirect, de cinq chefs de crimes contre l'humanité (meurtre, déportation ou transfert forcé de population, viol, persécution, et autres actes inhumains), qui auraient été commis pendant les violences post-électorales au Kenya en 2007-2008.

Les charges à son encontre avaient été confirmées le 23 janvier 2012 et l'affaire avait été renvoyée en procès devant la Chambre de première instance.

Premier chef d’État en exercice à comparaître devant la CPI, Uhuru Kenyatta a toujours nié les accusations portées contre lui.



Le Président du Kenya, Uhuru Kenyatta. Photo: CPI


Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale,Madame Fatou Bensouda, à propos du retrait des charges contre M. Uhuru Muigai Kenyatta (5 décembre 2014)

Le 3 décembre 2014, les juges de la Chambre de première instance V (B) de la Cour pénale internationale (CPI) ont refusé tout nouveau report du procès de M. Uhuru Muigai Kenyatta. En conséquence, compte tenu des éléments de preuve dont nous disposons à l'heure actuelle en l'espèce, je n'ai d'autre choix que d'abandonner les charges portées à l'encontre de M. Kenyatta. Plus tôt aujourd'hui, j'ai déposé une notification aux fins du retrait de ces charges et je le fais sans préjudice de la possibilité de présenter une nouvelle affaire si de nouveaux éléments de preuve étaient portés à notre connaissance.

C'est un moment douloureux pour les hommes, les femmes et les enfants qui ont terriblement souffert de l'horreur des violences postélectorales et qui ont patiemment attendu, pendant près de sept ans, que justice leur soit rendue.

J'ai décidé d'abandonner les charges contre M. Kenyatta après avoir soigneusement examiné toutes les preuves dont je dispose. Cette décision est fondée sur les faits propres à l'espèce et rien d'autre. En ma qualité de Procureur, j'agis et je prends mes décisions en fonction du droit et des éléments de preuve dont je dispose.

Malgré mon engagement personnel pour que justice soit rendue et que les responsables rendent des comptes aux Kényans qui ont été la cible des terribles violences qui ont secoué Nakuru et Naivasha après les élections de 2007, je ne peux engager de procès que lorsque l'accusé sera vraisemblablement reconnu coupable sur la base des éléments de preuve à ma disposition. Sans cette perspective, il est de mon devoir en tant que Procureur de retirer les charges à l'encontre de l'accusé.

Vous vous rappelez sans doute que, le 5 septembre 2014, j'ai prié la Chambre de première instance de reporter l'ouverture du procès de M. Kenyatta jusqu'à ce que les autorités kényanes exécutent pleinement la demande modifiée de consultation de dossiers présentée par l'Accusation en avril 2014.

J'avais alors informé la Chambre que je disposais des mêmes éléments de preuve que lorsque j'avais demandé un report du procès en décembre 2013 et que, par conséquent, ces éléments ne suffisaient pas à établir la responsabilité pénale présumée de M. Kenyatta au-delà de tout doute raisonnable, tel que requis à la phase du procès.

Malgré mes efforts persistants et ceux de mon équipe dévouée pour la bonne marche de la justice au Kenya, en l'espèce, ceux qui ont cherché à entraver son cours ont pour l'instant privé le peuple kényan de la justice qu'il mérite.

J'ai expliqué aux Kényanes et aux Kényans les difficultés de taille auxquelles mon Bureau s'est heurté dans le cadre de son enquête sur M. Kenyatta. Le Bureau a notamment été confronté aux difficultés suivantes :
  • plusieurs personnes, qui détenaient des informations cruciales quant aux agissements de M. Kenyatta, sont décédées, tandis que d'autres sont trop terrifiées pour témoigner à charge;
  • des témoins clés, qui avaient communiqué des éléments de preuve en l'espèce, ont fini par retirer leur témoignage ou changer leur version des faits, notamment des témoins qui ont par la suite allégué avoir menti à mon Bureau à propos de leur présence à des réunions cruciales ; et
  • le défaut de coopération de la part du Gouvernement kényan a entravé la capacité de l'Accusation à mener des enquêtes approfondies sur les charges, ce que la Chambre de première instance a récemment confirmé.

J'abandonne les charges à l'encontre de M. Kenyatta parce que, pour le moment, je ne pense pas nous soyons pleinement en mesure d'enquêter sur les crimes en cause et d'engager des poursuites à ce sujet. L'abandon des charges ne signifie en aucune façon que l'affaire est définitivement close. M. Kenyatta n'a pas été acquitté, et l'affaire peut être ré-ouverte, ou présentée différemment, si de nouveaux éléments de preuve établissant les crimes ainsi que sa responsabilité sont découverts. Mon Bureau continuera à recevoir et à examiner les informations susceptibles de révéler qui sont les responsables des violences postélectorales de 2007-2008, et évaluera, à ce stade, au vu de la situation actuelle au Kenya, les mesures pouvant concrètement et raisonnablement être prises en relation avec les crimes commis à Nakuru et à Naivasha en 2007 et en 2008.

Cependant, j'aimerais dire quelques mots à propos du fait que les autorités kényanes n'ont pas coopéré pleinement et efficacement dans le cadre de l'enquête que nous menions en l'espèce. Depuis que l'Accusation a adressé une demande modifiée aux autorités kényanes le 8 avril 2014, les éléments produits par ces dernières ne correspondent tout simplement pas à un grand nombre des documents que nous avions demandés. En résumé, nous n'avons pas reçu la plupart des documents que nous voulions consulter et ce, bien que les juges de la Cour aient clairement confirmé la validité de notre demande modifiée et rejeté toutes les objections formulées par lesdites autorités.

En l'espèce, les documents les plus intéressants quant aux violences postélectorales ne se trouvaient qu'au Kenya. Or, bien qu'elles nous aient assurés qu'elles étaient disposées à coopérer avec la Cour, les autorités de ce pays n'ont pas tenu leur promesse.

Au final, les obstacles que nous avons rencontrés en tentant d'obtenir la coopération nécessaire pour mener notre enquête ont globalement retardé et entravé, dans une large mesure, le cours de la justice pour les victimes dans le cadre de cette affaire.

Enfin, la date d'aujourd'hui marque une journée sombre dans l'histoire de la justice pénale internationale. Malgré tout, je suis fermement convaincue que la décision prise aujourd'hui ne marque pas un point final en matière de justice ou d'obligation de rendre des comptes s'agissant des crimes subis par les Kényanes et les Kényans en 2007 et 2008, crimes pour lesquels justice doit être rendue. 


Déclaration du Procureur de la Cour pénale internationale, Madame Fatou Bensouda, à propos du degré de coopération fournie par le Gouvernement kényan dans le cadre des enquêtes menées par l’Accusation dans l’affaire Kenyatta (5 décembre 2014)


Le 3 décembre 2014, les juges de la Chambre de première instance V (B) de la Cour pénale internationale (CPI) ont conclu que les autorités kényanes n'avaient pas suffisamment coopéré dans le cadre des enquêtes menées par mon Bureau s'agissant de l'affaire portée contre M. Kenyatta et que ce défaut de coopération avait nui à leur recherche de la vérité en l'espèce. La Chambre a indiqué : « la Chambre conclut que, à maintes reprises, les autorités kényanes […] n'ont pas coopéré de bonne foi » et « que ce manquement peut être qualifié de non coopération » telle qu'elle est définie dans le Statut de Rome.

Dans sa décision, la Chambre a par conséquent conclu que le défaut de coopération des autorités kényanes a non seulement empêché l'Accusation de mener une enquête approfondie à propos des accusations en question, mais a également fini par compromettre la capacité de la Chambre à s'acquitter de ses fonctions conformément à l'article 64, et notamment, à rechercher la vérité conformément à l'article 69-3 du Statut ». Il s'agit là d'un constat particulièrement important.

Les juges se sont ainsi prononcés sur le degré de coopération fournie par les autorités kényanes dans le cadre de l'affaire Kenyatta. Contrairement à ce qu'a annoncé publiquement le Gouvernement kényan, à savoir qu'il s'était acquitté pleinement de ses obligations juridiques en l'espèce, la décision rendue par la Chambre a confirmé que celui-ci avait manqué à ses obligations découlant du Statut de Rome en ne coopérant pas dans le cadre de notre enquête.

Je n'ai eu de cesse de solliciter les autorités kényanes pour qu'elles coopèrent avec mon Bureau en l'espèce afin que celui-ci puisse remplir sa mission. Des documents primordiaux quant aux violences postélectorales de 2007 et de 2008, notamment en ce qui concerne le comportement de l'accusé, ne se trouvent qu'au Kenya. L'Accusation ne peut les consulter qu'avec l'assistance des autorités kényanes. En fin de compte, cette assistance indispensable n'a pas été fournie, ce qui a été confirmé par la Chambre de première instance dans sa décision.

En plus de ce défaut de coopération de la part du Gouvernement kényan, mon Bureau a été confronté à une série d'obstacles majeurs qui l'ont empêché d'enquêter de manière approfondie sur les violences postélectorales survenues en 2007 et 2008, et qui ont eu raison des enquêtes en l'espèce. Le Bureau a notamment été confronté aux difficultés suivantes :
  • Un flux constant d'informations dénuées de tout fondement a été véhiculé dans les médias à propos des affaires relatives au Kenya ;
  • Une campagne sans précédent a été menée dans les médias sociaux en vue de dévoiler l'identité de témoins protégés dans le cadre des affaires relatives au Kenya ;
  • De vastes initiatives concertées ont été prises en vue de harceler, d'intimider et de menacer des individus qui souhaitaient témoigner.
Il va sans dire que la non-transmission de certains documents importants par les autorités kényanes a eu des répercussions fâcheuses sur cette affaire. Ce comportement a, en premier lieu, privé les victimes de leur droit à connaître toute la vérité sur les événements survenus en 2007 et en 2008. Il a, en second lieu, entravé ma capacité à mener une enquête à son terme. Et il a, en dernier lieu, empêché les juges d'exercer leurs fonctions essentielles consistant à évaluer les éléments de preuve et à établir la vérité.

Enfin, les obstacles que nous avons rencontrés en tentant d'obtenir la coopération nécessaire pour mener notre enquête ont globalement retardé et entravé, dans une large mesure, le cours de la justice pour les victimes dans le cadre de cette affaire.

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