Jean-Marie COLLIN
Plus de 150 Etats vont se
rencontrer à Vienne les 8 et 9 décembre 2014. Leur objectif : consacrer deux
jours de réflexion exclusivement aux conséquences et aux risques de détonation – accidentelle, par folie humaine ou volontaire – d’une arme nucléaire, en vue de renforcer la sécurité mondiale.
Alors que plus de 16 300 armes nucléaires sont réparties à travers le monde depuis 2010, des Etats (Suisse, Costa-Rica, Autriche, Mexique, Saint Siège, Afrique du Sud…) ont décidé d’engager des actions concrètes pour réveiller les consciences des Etats sur l’urgence de parvenir à un monde exempt d’armes nucléaires.
Leur action part d’un constat
simple : eux, Etats non dotés d’armes nucléaires (ENDAN) ont réalisé
toutes leurs obligations internationales de non-prolifération. Ainsi, ils sont
soumis, par exemple, aux contrôles de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et des membres de zones exemptes d’armes
nucléaires, ils ont renforcé leur Constitution pour interdire les armes
nucléaires (cas de l’Autriche), ratifié différents traités comme le Traité
d’interdiction complète des essais nucléaires, ou encore rempli les obligations
de la Résolution 1540 du Conseil de sécurité, etc. Dans le même temps, ils constatent que les
Etats dotés d’armes nucléaires (EDAN), malgré la réduction de leurs arsenaux
nucléaires – indéniable – conservent un nombre élevé d’armes nucléaires,
poursuivent des politiques de modernisation pour les 50 prochaines années et
continuent de garder la dissuasion nucléaire au cœur de leur politique de
défense.
Le cynisme des puissances
nucléaires, auquel s’ajoute désormais la connaissance des conséquences de la
détonation d’une arme nucléaire sur la santé humaine, l’environnement et l’économie
ont provoqué cette volonté de lancer, en mars 2012 en Norvège, un cycle de
conférences portant sur la dimension humanitaire du désarmement. La société
civile, regroupée autour de ICAN, une Campagne internationale pour l’Abolition
des armes Nucléaires, est partie prenante de cette action.
Après la conférence de février 2014 au Mexique, l’Autriche accueille cette
troisième conférence, où le nombre d’Etats attendus est au moins de 150, plus des organisations
internationales comme le CICR, le PNUE, ou l’OMS. Par cette action, Vienne montre
qu’elle respecte
ses engagements pris dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Cette
conférence doit être comprise comme un cadre constructif, qui traduit les
objectifs du Document final de la Conférence d’examen du TNP de 2010, lequel affirme que « tous les États doivent
faire un effort particulier pour établir le cadre nécessaire à l’instauration
et à la préservation d’un monde sans arme nucléaire ».
Cette conférence permettra de mieux comprendre les
dangers et enjeux sécuritaires. Il faut remarquer, parmi les différentes
sessions prévues, celles consacrées aux « Facteurs de risques sous-jacents à l’emploi
volontaire ou accidentel d’armes nucléaires » et aux
« Scénarios,
défis et capacités au regard d’une utilisation d’armes nucléaires et d’autres
événements ». La
conférence va offrir un espace de discussion et d’échanges pour tous les Etats
présents, assurant une pleine compréhension de la dimension humanitaire du
désarmement nucléaire. Tous les points de vue seront entendus, assurant ainsi
un dialogue fort entre les Etats présents.
Il est évident qu’un autre enjeu
va également se jouer à Vienne, celui de la suite. Certes, si tous les Etats
souhaitent que le TNP reste la clef de voûte du désarmement et de la non-prolifération
nucléaires, force est de constater que cette voûte pourrait bien s’écrouler devant l’absence réelle de volonté des EDAN de réaliser leurs engagements pris
à maintes reprises (voir les multiples engagements non respectés dans les
Documents finaux des Conférences d’Examen du TNP de 1995, 2000 et 2010).
Ainsi, il est indéniable que certains Etats se posent la question de lancer un
processus parallèle et en soutien au TNP. Ce processus pourrait revêtir la
forme d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. Ce traité viendrait renforcer
pour les Etats ayant renoncé à la bombe leur légitimité internationale à œuvrer
au désarmement nucléaire, tout comme le régime de non-prolifération (une
nouvelle assurance), et accentuerait la pression internationale sur les
possesseurs d’armes nucléaires. Ceux-ci ne pourraient rester indifférents à un
tel processus et seraient irrémédiablement « embarqués », la société
civile et les parlements à travers le monde jouant leur rôle de pression auprès
des gouvernements.
Vienne a déjà réussi une partie
de son objectif : obtenir la présence d’Etats (les EDAN) officiellement reconnus par le Traité de non-prolifération
nucléaire. En effet, les Etats-Unis et le Royaume-Uni vont participer à cette
conférence après avoir fortement critiqué le concept, ses objectifs et ne pas
avoir été présents aux deux premiers cycles. La Russie sera une nouvelle fois
absente. La Chine n’a pas encore donné de réponse, tout comme la France.
Cette dernière a toujours eu une
approche très négative sur cette « dimension humanitaire du désarmement »,
ne souhaitant discuter du désarmement nucléaire à la fois qu’au sein de l’ONU et que dans un processus qu’elle maîtrise. Si la
France ignore une troisième fois cette conférence intergouvernementale, il est
certain qu’elle renouera avec l’image forte du « mouton noir du désarmement
nucléaire » acquise entre 2005 et 2010.
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