13 juillet 2016

ACTU : Pékin n’a pas de « droits historiques » en mer de Chine méridionale, estime la CPA dans l’affaire opposant Les Philippines à la Chine

Catherine MAIA

Le 12 juillet 2016, le Tribunal constitué conformément à l’Annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la « Convention ») dans le cadre de l’arbitrage introduit par la République des Philippines contre la République populaire de Chine, a rendu une Sentence unanime.

Cet arbitrage a porté sur le rôle des droits historiques et la source des droits maritimes dans la mer de Chine méridionale, le statut de certains éléments maritimes en mer de Chine méridionale et les droits maritimes qu’ils peuvent générer. Il a également porté sur la légalité de certaines actions menées par la Chine en mer de Chine méridionale que les Philippines estiment être en violation de la Convention. Compte tenu des limites quant au règlement obligatoire des différends en vertu de la Convention, le Tribunal a souligné qu’il ne statuerait pas sur des questions de souveraineté sur le territoire terrestre et qu’il ne déterminerait pas de frontière maritime entre les Parties.

La Chine a déclaré à plusieurs reprises qu’elle « n’accepte pas l’arbitrage introduit unilatéralement par les Philippines et n’y participe pas ». Toutefois, l’Annexe VII de la Convention énonce que « [l]’absence d’une partie ou le fait pour une partie de ne pas faire valoir ses moyens ne fait pas obstacle au déroulement de la procédure ». L’Annexe VII prévoit également que, lorsqu’une partie ne participe pas à la procédure, un tribunal « doit s’assurer non seulement qu’il a compétence pour connaître du différend, mais que la demande est fondée en fait et en droit ». Ainsi, tout au long de la procédure, le Tribunal a pris des dispositions afin de déterminer l’exactitude des requêtes des Philippines, y compris en leur demandant de soumettre des conclusions supplémentaires, en adressant des questions aux Philippines à la fois avant et pendant deux audiences, en nommant des experts indépendants en vue de faire rapport au Tribunal sur des questions techniques, en obtenant des preuves historiques concernant des éléments en mer de Chine méridionale et en les soumettant aux Parties pour commentaire.

En outre, la Chine, par la publication en décembre 2014 d’une Note de position et par d’autres déclarations officielles, a exprimé clairement sa position selon laquelle le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de l’affaire. L’article 288 de la Convention prévoit qu’ « [e]n cas de contestation sur le point de savoir si une cour ou un tribunal est compétent, la cour ou le tribunal décide ». Ainsi, en juillet 2015, le Tribunal a convoqué une audience sur la compétence et la recevabilité, et a rendu une Sentence sur la compétence et la recevabilité le 29 octobre 2015, dans laquelle il se prononce sur certaines questions de compétence et réserve d’autres questions non tranchées pour examen ultérieur. Le Tribunal a ensuite convoqué une audience sur le fond du 24 au 30 novembre 2015. La Sentence, datée d’aujourd’hui, porte sur les questions de compétence non tranchées dans la Sentence sur la compétence et la recevabilité, ainsi que sur le fond des requêtes des Philippines relevant de la compétence du Tribunal. Conformément à l’article 296 de la Convention et à l’article 11 de l’Annexe VII, la Sentence est définitive et a force obligatoire.

Droits historiques et « ligne en neuf traits »


Le Tribunal conclut qu’il est compétent pour connaître du différend opposant les Parties concernant les droits historiques et la source des droits maritimes dans la mer de Chine méridionale. Sur le fond, le Tribunal conclut que la Convention accorde des droits à des zones maritimes de manière générale et que la protection des droits préexistants sur des ressources a été considérée, mais elle n’a pas été adoptée dans la Convention. Par conséquent, le Tribunal estime que, dans la mesure où la Chine avait des droits historiques sur des ressources dans les eaux de la mer de Chine méridionale, ces droits ont été éteints étant donné qu’ils étaient incompatibles avec les zones économiques exclusives prévues par la Convention. Le Tribunal note également que, bien que les navigateurs et pêcheurs chinois, ainsi que ceux d’autres États, ont, historiquement, fait usage des îles de la mer de Chine méridionale, il n’existe aucune preuve que la Chine a, historiquement, exercé un contrôle exclusif sur les eaux et leurs ressources. Le Tribunal juge qu’il n’y a aucun fondement juridique pour que la Chine revendique des droits historiques sur des ressources dans les zones maritimes à l’intérieur de la « ligne en neuf traits ».

Statut des éléments

Le Tribunal examine ensuite les droits à des zones maritimes et le statut de certains éléments maritimes. Tout d’abord, le Tribunal procède à une évaluation afin de déterminer si certains récifs revendiqués par la Chine sont découverts à marée haute. Les éléments qui sont découverts à marée haute génèrent un droit à une mer territoriale d’au moins 12 milles marins, contrairement aux éléments recouverts à marée haute. Le Tribunal constate que les récifs ont été modifiés de manière considérable par les activités de réclamation de terre et de construction, rappelle que la Convention catégorise les éléments en fonction de leur état naturel, et s’appuie sur des documents historiques afin d’évaluer les éléments. Le Tribunal étudie ensuite la question de savoir si les éléments revendiqués par la Chine peuvent générer des zones maritimes au-delà des 12 milles marins. En vertu de la Convention, une île génère une zone économique exclusive de 200 milles marins et un plateau continental, mais les « rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre, n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental ». Le Tribunal considère que cette disposition dépend de la capacité objective d’un élément, dans son état naturel, à soutenir soit une communauté stable de personnes soit une activité économique qui ne dépend pas des ressources extérieures ou qui n’est pas de nature uniquement extractive. Le Tribunal note que la présence actuelle de personnel officiel sur de nombreux éléments dépend d’un soutien extérieur et ne reflète pas la capacité des éléments. Le Tribunal estime que les éléments de preuve historiques sont plus pertinents et constate que les îles Spratly ont été utilisées historiquement par des petits groupes de pêcheurs et que plusieurs entreprises japonaises ont tenté d’y exercer des activités de pêche et d’extraction minière du guano. Le Tribunal conclut que cette utilisation temporaire ne constitue pas l’habitation par une communauté stable et que toutes les activités économiques historiques ont été extractives. Ainsi, le Tribunal estime qu’aucune des îles Spratly n’est capable de générer une zone maritime étendue. Le Tribunal soutient également que les îles Spratly ne peuvent pas générer de zones maritimes collectivement, en tant qu’élément. Ayant constaté qu’aucun des éléments revendiqués par la Chine n’était capable de générer une zone économique exclusive, le Tribunal juge qu’il peut, sans délimiter de frontière, déclarer que certaines zones maritimes sont comprises dans la zone économique exclusive des Philippines, parce que ces zones ne sont chevauchées par aucun droit de la Chine.

Légalité des actions menées par la Chine

Le Tribunal examine ensuite la légalité des actions menées par la Chine en mer de Chine méridionale. Ayant conclu que certaines zones sont dans la zone économique exclusive des Philippines, le Tribunal estime que la Chine a violé les droits souverains des Philippines dans sa zone économique exclusive a) en entravant les activités liées à la pêche et l’exploration pétrolière menées par les Philippines, b) en construisant des îles artificielles et c) en n’empêchant pas les pêcheurs chinois de pêcher dans la zone. Le Tribunal considère également que les pêcheurs des Philippines (au même titre que les pêcheurs de la Chine) possèdent des droits de pêche traditionnels à proximité du Récif de Scarborough et que la Chine a porté atteinte à ces droits en y limitant l’accès. Le Tribunal conclut, en outre, que les navires de la force publique chinoise ont commis des actes illicites et ont provoqué des risques sérieux d’abordage lorsqu’ils ont bloqué physiquement les navires philippins.

Dommage causé au milieu marin 

Le Tribunal examine les effets sur le milieu marin causés par les activités de réclamation de terre à grande échelle et de construction d’îles artificielles menées par la Chine sur sept éléments des îles Spratly. Il conclut que la Chine a causé des dommages graves aux récifs coralliens et a manqué à ses obligations de préserver et protéger les écosystèmes délicats ainsi que l’habitat des espèces en régression, menacées ou en voie d’extinction. Le Tribunal conclut également que les autorités chinoises étaient au courant du fait que les pêcheurs chinois exploitaient, à grande échelle, des tortues de mer, des coraux et des palourdes géantes menacés d’extinction dans la mer de Chine méridionale (en utilisant des méthodes causant des dommages importants à l’environnement des récifs coralliens) et qu’elles ont manqué aux obligations qui leur incombent de mettre fin à ces activités.

Aggravation du différend

Enfin, le Tribunal étudie la question de savoir si les actions menées par la Chine depuis le commencement du présent arbitrage ont aggravé le différend entre les Parties. Le Tribunal estime qu’il n’est pas compétent pour examiner les conséquences d’une confrontation entre la Marine philippine et les navires de la force publique chinoise à proximité du Récif de Second Thomas, soutenant que ce différend implique des activités militaires et, par conséquent, est exclu du règlement obligatoire. Toutefois, le Tribunal juge que les activités de réclamation de terre à grande échelle et de construction d’îles artificielles sont incompatibles avec les obligations incombant à un État dans le cadre d’une procédure de règlement de différends, dans la mesure où la Chine a infligé des dommages irréversibles au milieu marin, a construit une grande île artificielle dans la zone économique exclusive des Philippines, et a détruit des preuves relatives à l’état naturel de certains éléments en mer de Chine méridionale qui faisaient partie du différend opposant les Parties.


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Le Tribunal a été constitué le 21 juin 2013 conformément à la procédure prévue à l’Annexe VII de la Convention en vue de statuer sur le différend introduit par les Philippines. Les membres du Tribunal dans cette affaire sont : M. le juge Thomas A. Mensah du Ghana, M. le juge Jean-Pierre Cot de France, M. le juge Stanislaw Pawlak de Pologne, M. le professeur Alfred Soons des Pays-Bas et M. le juge Rüdiger Wolfrum d’Allemagne. M. le juge Thomas A. Mensah est le Président du Tribunal. La Cour permanente d’arbitrage fait fonction de greffe dans cette procédure. Des informations supplémentaires au sujet de l’affaire sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.pcacases.com/web/view/7, y compris la Sentence sur la compétence et la recevabilité, le Règlement de procédure, les communiqués de presse précédents, les transcriptions et les photographies des audiences.


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Informations sur la Cour permanente d'arbitrage

La Cour permanente d’arbitrage (« CPA ») est une organisation intergouvernementale créée par la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux de La Haye de 1899. Elle compte actuellement 121 États membres. Siégeant au Palais de la Paix à La Haye, aux Pays-Bas, la CPA facilite l’arbitrage, la conciliation, les enquêtes pour l’établissement des faits et autres procédures de règlement des différends entre diverses combinaisons d’États, d’organes de l’État, d’organisations intergouvernementales et de parties privées. Le Bureau international de la CPA administre actuellement 8 différends inter-étatiques, 73 arbitrages entre investisseurs et États et 34 affaires sur le fondement de contrats impliquant un État ou autre entité publique. La CPA a administré 12 affaires introduites en vertu de l’Annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. En juillet 2013, le Tribunal dans l’Arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale a nommé la CPA pour faire fonction de greffe dans le cadre de la procédure. Le Règlement de procédure du Tribunal prévoit que la CPA conserve les archives de la procédure arbitrale et fournit des services de greffe appropriés conformément aux instructions du Tribunal arbitral. Ces services comprennent l’assistance dans l’identification et la nomination d’experts, la publication d’informations relatives à l’arbitrage, la diffusion de communiqués de presse, l’organisation d’audiences au Palais de la Paix à La Haye et la gestion financière de l’affaire, comprenant la conservation des sommes consignées par les Parties afin de couvrir les dépenses encourues dans le cadre de l’arbitrage, telles que les honoraires des arbitres, des experts, des sténotypistes et les frais relatifs à l’assistance technique etc. Le greffe sert également de voie de communication entre les Parties, le Tribunal et les États observateurs.



PH-CN


Photographie : Audience en cours, juillet 2015, Palais de la Paix, La Haye. Dans le sens des aiguilles d’une montre, à partir de la gauche : Greffière et Conseillère juridique senior de la CPA Judith Levine ; M. le juge Stanislaw Pawlak ; M. le professeur Alfred H. A. Soons ; M. le juge Thomas A. Mensah (Arbitre-Président) ; M. le juge Jean-Pierre Cot ; M. le juge Rüdiger Wolfrum ; Conseiller juridique senior de la CPA Garth Schofield ; Secrétaire aux Affaires étrangères des Philippines, M. Albert F. Del Rosario ; ancien Agent des Philippines et Procureur général, M. Florin T. Hilbay ; Conseil des Philippines, M. Paul Reichler, M. le professeur Philippe Sands, M. le professeur Bernard H. Oxman, M. le professeur Alan E. Boyle, M. Lawrence H. Martin.



Réactions 

A la suite de cette sentence arbitrale, les Philippines n’ont pas crié pas victoire. Même si les juges de la Cour permanente d'arbitrage leur donnent raison, pour Manille, il est essentiel de faire profil bas pour ne pas froisser Pékin qui pourrait, selon certains observateurs, lancer de nouvelles opérations maritimes plus affirmées. 

De son côté, la Chine a réagi avec colère, rejetant catégoriquement le jugement. Pékin « n'accepte pas ni ne reconnaît » l'arbitrage de la CPA « nul et non avenu », a réagi le ministère chinois des Affaires étrangères. 

Parmi les autres réactions, il faut relever celles des pays riverains. Le Japon, notamment, considère le verdict de la Cour permanente comme définitif et juridiquement contraignant. La sentence est également saluée par le Vietnam qui soutient une résolution pacifique des disputes territoriales. 

L'Union européenne a appelé Pékin à respecter l'ordre juridique international. Les États-Unis, enfin, ont décrit le verdict comme une importante contribution à une résolution du litige en cause et demandé aux parties prenantes d'éviter les déclarations ou les actions provocatrices. 


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